La nostalgie agit

La médecine par le vin, cela fait
des lustres que
PafMag en parle.
En retraçant la place du vin dans l’hygiène
publique depuis la Belle Epoque, l’ouvrage reflète
les classiques flux et reflux politiques. "Le véritable
phylloxéra, c’est le médecin !", tonnait
un député du Gers en 1907, après les soulèvements
de viticulteurs du Midi.
Alors, pour ou contre ?
Seule la mauvaise foi fait foi. Les "anti"sont vendus
aux embouteilleurs d’eau minérale, voire à
l’Angleterre. Les « pro » sont des lobbys
de professionnels.

Mais le pouvoir politique s’inquiète : la France
passe au début du XXè siècle premier consommateur
mondial d’alcool par habitant.
Les médecins ne semblent pas spécialement préoccupés.
Sur les quelque 15.000 praticiens recensés, seuls une
ou deux centaines se déclarent "anti".
D’ailleurs, comment expliquer que les buveurs d’eau
fussent davantage exposés aux appendicites, à
l’entérocolite et à la typhoïde, comme
le remarque le docteur Armand Gautier, professeur de chimie
à la Faculté de médecine de Paris ?
Il n’empêche : Régis, un médecin abstème,
exigeait des preuves scientifiques de l’utilité
du vin, faisant remarquer que 80% des buveurs de vin de Martillac
(Aveyron) souffraient d’artériosclérose
dès l’âge de 35 ans. Facile ! répondent
les pros : les Martillaçais consomment des charcuteries
l’excès ! Donc dans le vin, tout est bon !

L'intox à tous les niveaux
En réalité, le combat sanitaire
du vin a suivi l’évolution de la vigne et de la
législation. Après le phylloxéra, la France
a été envahie de bibinne et d’alcools frelatés.
Mais lorsque les vignes se reconstituèrent et que des
lois anti-frelatage furent édictées, les autorités
sanitaires dans leur majorité attribuèrent aux
produits falsifiés la dégradation physique et
psychique des Françaises et des Français. A contrario,
les bons vins devenaient donc recommandables.
Quelles que fussent les attaques des "anti", le Français
moyen reste en tout cas persuadé qu’avec une consommation
modérée, on vit plus longtemps, en meilleure santé
et plus heureux. D’ailleurs, le taux de cancers n’est-il
pas moindre dans les régions où l’on boit
du vin ?
La composition du vin trouble d’ailleurs la communauté
scientifique car elle est à l’image d’un
tissu organique : sels de potassium, calcium. Un litre de vin
par jour fournit la moitié de cations nécessaires
à l’homme (hormis le phosphore, le soufre et le
calcium).

Un patient heureux est à
moitié guéri
Bon an, mal an, les publications prônant
les vertus thérapeutiques du vin voient le jour. En 1933,
Gaehlinger et Bécart font état d’un jeune
propriétaire bordelais qui, suite à une imprudente
promesse à son épouse, s’abstenait de vin
et de viande un mois par an, et qui contracta une mauvaise infection
urinaire, agrémentée d’une inflammation
des testicules. Devinez ce qui le sauve en trois jours ?
En matière de gastro-entérologie,
il apparaît que le vin stimule l’appétit
et qu’il contrôle l’obésité
(mais pourquoi ne pas remplacer les distributeurs de coca par
des fontaines à vin dans les écoles !!!). Et il
favorise la digestion : salivation, secrétions gastriques,
dynamisme stomacal, suc pancréatique…
« Soignez-vous par le vin », du Docteur
Maury (qui a servi de fond de sauce pour notre article)
fait partie de toute cette littérature « pro »
du XXè siècle. Puis arrive le French Paradox.
Plutôt que de relater toutes les études menées
Outre-Atlantique à ce sujet, contentons-nous du titre
du New York Times du 11 décembre 1997 : « Un verre
chaque jour, 20% de morts en moins ».

On sent que l’auteur, professeur émérite
à l’Université de Floride, s’est régalé
à l’écriture de cet ouvrage remarquablement
documenté. Combien de virées, combien de joyeuses
considérations entre gais lurons, combien d’investigations
dans les bibliothèques bien achalandées et bien
situées ?
Cette traduction (remarquable) d’un ouvrage paru en 2001
sous le titre de Bacchic Medicine, Wine & Alcohol Therapies,
from Napoleon to French Paradox n’a pas du tout vieilli.
La lecture est aussi tonique que… choisissez vous-même
!
A. LEONCE-LABOIE
Bacchus sur ordonnance
(préface de Philippine de Rothschild), Harry W. Paul,
PUF. 19 euros en France métropolitaine.